Chronique solitaire et poétique en terre hospitalière

Eat or be b(eat)en...

 

Elle peut plus... Enfiler son pantalon

Sans s'aider de ses mains ;

Monter dans l'bus,

Ni s'relever quand elle est couchée

Sans passer par le côté ;

- Ses jambes ne savent plus la porter.

 

Et pourtant elle crèverait de culpabilité

Parce que c'matin, son ventre est rond?

Parce que demain, peut-être, elle pèsera plus,

Parce qu'hier soir elle a trop mangé,

Sans s'arrêter, parce que c'était si bon?

... Allons, allons,

Vous croyez pas qu'elle a l'air con?

 

Si. Même elle le sait.

Ça l'a frappée,

BAM, comme une claque,

C'matin quand elle s'est réveillée.

"J'ai mangé, beaucoup mangé...

Et après?

Est-ce que la vie s'est arrêté,

Est-ce que le monde, patatrac!,

S'est écroulé?

NON! La Terre a continué de tourner,

Comme hier, avant hier et avant avant hier,

Comme elle le fait, simplement, depuis des millénaires.

Et les gens,

M'ont-ils reniée, accusée, dévisagée?"

... Silence assourdissant.

Non. C'est si évident...

 

La planète tourne, fidèle à elle-même,

Depuis des millénaires,

Et elle croit que son allure, son poids,

Y changeront quoi qu'ce soit?

Elle croit que les autres, même,

En ont quelque chose à faire,

Qu'elle fasse du S, du XL ou du M?

Haha... Mais quelle absurdité!

Pour qui se prend-elle?

La planète n'a pas besoin d'elle

(À quoi serviraient, d'ailleurs,

Ses jambes de sauterelle?) ;

Ni ceux qui l'aiment

Pour continuer de le faire

(Ce serait même le contraire :

On n'aime que ceux qui savent ouvrir leur coeur).

 

Elle y a cru, pourtant.

Si fort et si longtemps.

Cru qu'il fallait ça pour qu'on l'aime,

Qu'on l'apprécie, qu'on la voit.

Ça pour qu'elle soit,

Même.

 

Et puis un soir,

Elle a mangé.

C'est trop bon,

Trop con,

Clac,

Patatrac,

Vous connaissez l'histoire.

Elle a mangé,

Elle a compris.

Compris sa méprise, sa folie, son erreur,

Et dans un élan du coeur,

S'est dit... Et si je continuais?

 

Son ego détraqué,

Endormi par le sucre et la nuit,

À cette idée s'est réveillé :

"Oui mais : et après?

Tu vas prendre du poids,

Les gens cesseraient de trembler

Quand ils te prennent dans leur bras,

Ils cesseraient de faire attention,

Toujours, tout le temps, à ce qu'ils font

Ou disent avec toi,

De peur de te casser

- Les côtes ou le coeur."

 

Plus lucide désormais,

Sans attendre elle a rétorqué :

"Et après?

Ce serait que du meilleur,

Ils pourraient serrer fort, fort,

Encore et encore!

Alors, après?

Vas-y, vas-y, j'ai pas peur!".

 

Comme sur un ring de boxeur,

Le match était engagé.

L'ego, un peu sonné,

N'a pourtant pas lâché.

"Après... Tu pourrais devenir grosse,

Tes fesses feraient des bosses,

Tes cuisses des piliers,

Tout ton corps serait gras,

Tu rentrerais plus dans tes vêtements."

 

... Le coeur ne s'est pas laissé démonter :

"J'en prendrai de plus grands!

Et après? Ça changerait quoi?

Ça m'empêcherait de faire des gosses,

De voyager, de rire,

De travailler, de d'venir boss?

Ça mettrait en péril,

Tu crois,

Mes projets d'avenir?"

 

1-0,

K.O,

En plein dans l'mille.

 

Tout ça, dans sa tête comme une claque,

Clic-clac,

En un instant.

La révélation :

"J'ai mangé, et après?

J'ai un peu le bide en vrac,

Mais ma vie, Patatrac!,

Ne s'est pas arrêtée.

Peut-être même qu'elle vient juste de recommencer..."

 

Quelques paquets d'biscuits,

D'la glace, du riz,

De grosses tranches de pain de mie...

Que sont étranges, parfois, les chemins de la Vie,

Pour nous enseigner ses leçons.

Mais qu'importe les biais

Tant que le message est porté :

Manger... Et si elle continuait?